Kilonova, fusion d’étoiles à neutrons et ondes gravitationnelles

2017-12-31. Le 17 août 2017, l’événement d’ondes gravitationnelles GW170817 survient en même temps que le sursaut de rayonnement gamma GRB170817, permettant la toute première observation d’une kilonova par les astronomes.

Chronologie des événements

Quatre jours avant l’éclipse solaire totale très médiatisée du 21 août 2017 aux États-Unis, un autre événement astrophysique allait voler la vedette et monopoliser secrètement l’attention de 70 équipes internationales d’astrophysiciens. 

Suivons le fil chronologique des premières 11 heures de cette histoire palpitante, demeurée secrète pendant deux mois…  

  • T0 = 17 août 2017, 12:41:04 UTC (Temps Universel Coordonné), des ondes gravitationnelles sont détectées en Amérique par le détecteur LIGO situé à Hanford, dans l’état de Washington. Cody Messick fait partie d’une équipe de premiers répondants au sein de la collaboration LIGO. C’est lui qui était « de garde » à la maison lorsqu’une alerte sur son téléphone cellulaire l’a informé de la détection d’un signal d’ondes gravitationnelles (ensuite baptisé GW170817) qu’il doit inspecter attentivement le plus tôt possible.
  • T0 + 1.7 seconde : un sursaut d’ondes gamma (ensuite baptisé GRB170817) est détecté par les satellites Fermi et INTEGRAL.
  • T0 + 10 à 20 minutes ; Cody Messick, en collaboration avec son chef d’équipe et d’autres collègues, confirme que le second détecteur d’ondes gravitationnelles LIGO situé à Livingston en Louisiane a lui aussi détecté le même événement. Plus important encore, les deux détecteurs LIGO ont observé des ondes gravitationnelles d’une durée exceptionnellement longue de 60 secondes. Les cinq détections précédentes d’ondes gravitationnelles avaient duré à peine une seconde et impliquaient toutes des systèmes binaires de trous noirs n’émettant aucune onde électromagnétique. En revanche, la durée de 60 secondes du signal d’ondes gravitationnelles GW170817 laisse déjà fortement présager qu’il s’agit cette fois-ci d’un système binaire d’étoiles à neutrons. Selon les simulations par ordinateur, la fusion de ces deux étoiles à neutrons devrait avoir mené à la création d’une kilonova dont la luminosité devrait être mesurable par une panoplie de télescopes d’ondes électromagnétiques. Le niveau d’excitation et de fébrilité des chercheurs monte alors en flèche, tout comme le taux d’adrénaline dans leur sang…
  • T0 + 40 minutes ; les chercheurs de la collaboration VIRGO, dont le détecteur d’ondes gravitationnelles se trouve à Pise en Italie, confirment eux aussi la détection d’un signal, quoi que beaucoup plus faible que celui observé à Hanford et Livingston.
  • Immédiatement après cette confirmation, une première alerte de détection d’ondes gravitationnelles est envoyée à 70 équipes d’astrophysiciens. Cette première zone de recherche dans la voûte céleste est très grande : 190 degrés^2.
  • T0 + 4.5 heures ; on conclut que la faiblesse du signal d’ondes gravitationnelles observées par VIRGO implique fort probablement que la collision d’étoiles à neutrons s’est produite dans un des angles morts de VIRGO. Cette information a permis de réduire substantiellement l’aire des recherches d’une possible kilonova, la zone de recherche dans la voûte céleste passant ainsi de 190 degrés^2 à seulement 28 degrés^2. Cette dernière étendue équivaut à environ 150 fois la taille de la pleine Lune. Pour restreindre encore davantage la zone de recherche, on a pu se servir de la distance de la kilonova calculée directement grâce aux ondes gravitationnelles, dont la valeur centrale fut estimée à 130 millions d’années-lumière avec une marge d’incertitude située entre 85 et 156 millions d’années-lumière. Un nombre relativement restreint de 49 galaxies connues se trouvait à l’intérieur de cet intervalle de distance pour la zone de recherche de 28 degrés^2. Ceci a permis la mise au point d’une stratégie de recherche ciblée uniquement sur ces 49 galaxies, de sorte que la recherche de la kilonova par les équipes d’astrophysiciens n’allait pas se faire « à l’aveugle ».
  • Cette nouvelle zone plus restreinte de recherches, ainsi que l’estimation de distance faite directement à partir de l’intensité des ondes gravitationnelles, furent immédiatement communiquées aux 70 équipes de scientifiques responsables de l’observation par télescopes d’ondes électromagnétiques. Toutefois, comme la zone de recherche se trouvait dans l’hémisphère sud et que la clarté du jour empêchait alors toute observation, les chercheurs ont dû patienter quelques heures avant de pouvoir faire les premières observations nocturnes au Chili. Ces quelques heures de planification de travaux d’observations ont permis aux équipes d’affiner leurs stratégies de recherche.
  • T0 +10.9 heures, l’équipe du télescope optique SWOPE situé au Chili fut la première à détecter la kilonova tant convoitée au sein de la galaxie NGC 4993. Dans cette véritable course contre la montre, ils seront suivis de très près par plusieurs équipes qui feront indépendamment la même détection dans les 45 minutes suivantes…

Cet événement d’ondes gravitationnelles fut tout simplement baptisé GW170817, pour « gravitational wave » du 17 août 2017. En cette date, nous avons assisté à la naissance de l’astrophysique multi-messagers. Traditionnellement, les télescopes employés en astrophysique n’ont toujours utilisé qu’un seul type de messager, soit les ondes électromagnétiques. Selon leur longueur d’onde, ces ondes électromagnétiques portent divers noms (rayons gamma, rayons X, ultra-violet, lumière visible, infrarouge, micro-ondes, ondes radio) et une panoplie de télescopes sont employés pour la détection de ces ondes électromagnétiques. Les détecteurs avancés LIGO et VIRGO permettent quant à eux d’employer un second messager, soit les ondes gravitationnelles. Mais puisque les cinq premiers événements détectés par LIGO et VIRGO impliquaient tous des paires de trous noirs dont aucune onde électromagnétique ne peut s’échapper, les astrophysiciens attendaient impatiemment depuis plus de 2 ans un premier système binaire composé soit de deux étoiles à neutrons, soit d’un trou noir et d’une étoile à neutrons. Dans ces deux cas, la détection d’ondes électromagnétiques serait possible en plus de la détection d’ondes gravitationnelles, d’où le nom de cette nouvelle ère de l’astrophysique multi-messagers

Deux mois après les détections de GW170817 et GRB170817, le grand secret dans lequel les scientifiques avaient travaillé fut enfin levé en conférence de presse le 16 octobre 2017. Une avalanche de plus de 30 articles furent alors publiés en même temps dans cinq périodiques, dont six dans la seule revue Nature, la plus prestigieuse au monde. Voici d’ailleurs la page couverture de la version imprimée du 2 novembre 2017 de Nature. 

La revue Science, dans son numéro du 22 décembre 2017, allait quant à elle décerner l’honneur de « Breakthrough of the year 2017 » (percée scientifique de l’année 2017, toutes disciplines scientifiques confondues) à la fusion du système binaire d’étoiles à neutrons détecté par GW170817. Et pour ne pas être en reste face à sa grande rivale Nature, huit articles additionnels furent publiés au sujet de GW170817 dans cette même édition du 22 décembre 2017 de Science… 

Toutes ces publications nous ont appris une foule d’informations importantes au sujet du système binaire d’étoiles à neutrons et de la kilonova produite par leur fusion. Le signal d’ondes gravitationnelles a notamment permis de déterminer que la masse de la première étoile à neutrons se situait entre 1,36 et 2,26 masse solaire, tandis que la masse de la deuxième étoile à neutrons se situait entre 0,86 et 1,36 masse solaire. Quant aux diverses mesures spectrales effectuées dans l’ultraviolet, le visible et l’infrarouge, elles ont permis de confirmer la création d’éléments lourds du tableau périodique (plus lourds que le fer) via un processus de capture rapide de neutrons, nommé processus-r. Selon les calculs théoriques, l’éjecta de masse dans les régions polaires de la kilonova serait peu propice à la formation d’éléments lourds. En revanche, l’éjecta de masse via les effets de marée dans le plan équatorial de la kilonova serait plus riche en lanthanides et ainsi plus propice à la création d’éléments lourds tels les métaux précieux que sont l’or et la platine. On estime d’ailleurs préliminairement qu’une masse d’or équivalente à la masse de la planète Terre aurait pu être créée par cette seule kilonova!!! 

Nos connaissances fondamentales en astrophysique ont également progressé de façon spectaculaire grâce à cette toute première observation multi-messagers :  

  • À tout seigneur tout honneur, disons d’abord que la détection simultanée des ondes gravitationnelles et du sursaut d’ondes gamma après un trajet de 130 millions d’années-lumière a enfin permis de confirmer une prédiction vieille de 100 ans faite par Albert Einstein à l’effet que les ondes gravitationnelles voyagent à la même vitesse que la lumière.
  • Nous avons maintenant la confirmation que la fusion d’étoiles à neutrons est à l’origine des sursauts de rayons gamma de courte durée (< 2 secondes), mettant fin à un mystère non résolu depuis plusieurs décennies.
  • La méthode des sirènes standards pour calculer la constante de Hubble (constante de proportionnalité entre la vitesse d’éloignement d’un corps céleste et sa distance mesurée à partir de la Terre), a pu être mise en application pour la toute première fois grâce à ce premier événement multi-messagers attendu des astrophysiciens depuis tant d’années. La valeur obtenue est tombée à cheval entre les estimations précédemment obtenues via deux autres méthodes déjà existantes (fond de micro-ondes cosmiques;  céphéides et supernovae 1a). 

Dans la méthode des sirènes standard, nous pouvons déterminer la distance de la kilonova directement grâce à la « luminosité » du signal d’ondes gravitationnelles. Quant à la vitesse d’éloignement de la kilonova, elle peut être estimée via le décalage vers le rouge par effet Doppler des ondes électromagnétiques mesurées par les télescopes d’ondes électromagnétiques. Le rapport entre vitesse d’éloignement de la kilonova et sa distance de la Terre nous donne comme résultat une estimation de la constante de Hubble. Les astrophysiciens espèrent de nombreuses autres observations multi-messagers de kilonovas dans les années à venir dans le but de réduire l’incertitude statistique avec laquelle nous connaissons actuellement la constante de Hubble. 

Lectures additionnelles suggérées

  • Abbott, B.P. et coauteurs, 2017. GW170817: Observation of Gravitational Waves from a Binary Neutron Star Inspiral. Physical Review Letters119, 161101. Cet article, rédigé conjointement par la collaboration scientifique LIGO et la collaboration VIRGO, fut publié le 16 octobre 2017, la journée même des conférences de presse et à peine 60 jours après la détection de GW170817. Pardonnez-moi ce jeu de mots un peu facile, mais j’ai l’impression que les scientifiques de LIGO et VIRGO ont travaillé à la vitesse des ondes gravitationnelles, c’est à dire à la vitesse de la lumière…
  • Castelvecchi, D. 2017. Colliding stars spark rush to solve cosmic mysteriesNature550, 309-310. Paru dans l’édition du 19 octobre 2017 de la revue Nature, trois jours après les conférences de presse annonçant la toute première observation multi-messagers en astrophysique, cet article offre une chronologie des événements et parvient à bien communiquer la fébrilité et l’excitation qui régnaient au sein des 70 équipes d’astrophysiciens au cours des deux mois précédents.
  • Miller, M.C. 2017. A golden binaryNature551, 36-37. Cet article de vulgarisation scientifique vous servira de point d’entrée au numéro du 2 novembre 2017 de la revue Nature, où 6 articles scientifiques décrivent le système binaire d’étoiles à neutrons et la subséquente kilonova.
  • Cho, A. 2017. Cosmic convergenceScience358, 1520-1521. Cet autre article de vulgarisation scientifique, paru le 22 décembre 2017 dans la revue Science, nous fait explorer davantage les conséquences et possibilités de la nouvelle astrophysique multi-messagers tout en servant d’introduction à 8 articles parus dans ce même numéro de Science
  • Metzger et al. 2010, Electromagnetic counterparts of compact object mergers powered by the radioactive decay of r-process nucleiMon. Not. R. Astron. Soc406, 2650–2662. À ma connaissance, c’est dans cet article de physique théorique qu’on retrouve le terme ‘kilonova’ pour la toute première fois. On y lit: « Puisque nous prévoyons que la luminosité transiente suite à la fusion de 2 étoiles à neutrons sera 1000 fois supérieure à une nova typique, nous proposons d’appeler ces événements kilo-novae ». On y trouve des calculs et simulations par ordinateur de la désintégration par radioactivité d’isotopes d’éléments lourds instables, qui est la source d’énergie de la kilonova.
  • Metzger, B.D. 2017. KilonovaeLiving Rev Relativ20: 3. (version téléchargée 2017-12-31) Dans cette véritable « brique » de 59 pages bien étoffées d’équations mathématiques accompagnées de généreuses explications pour les non-experts, Brian Metzger passe en revue tout ce qui était connu au sujet des kilonovas en mai 2017, trois mois avant la première observation multi-messagers d’une kilonova. On n’y trouve donc aucune référence à GW170817, mais on peut y lire tout ce qui était théoriquement prédit au sujet des kilonovas avant la première observation de l’une d’entre elles. L’article reflète donc les connaissances des astrophysiciens sur les kilonovas avant que les scientifiques des collaborations LIGO et VIRGO ne détectent GW170817. 

À regarder

Vidéo du New York Times sur cette kilonova

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