Désoxygénation et réchauffement des eaux profondes du golfe du Saint-Laurent
2018-09-30. Dans une publication dont je suis co-auteur, nous montrons que les émissions de CO2 liées aux activités humaines causent un réchauffement et une désoxygénation rapide des eaux profondes du golfe du Saint-Laurent.

Résumé
Claret et co-auteurs (2018) examinent le lien entre l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 et une forte réduction dans le transport d’eaux froides et bien oxygénées du courant du Labrador vers l’embouchure du chenal Laurentien. Notre étude compare deux expériences de simulation par ordinateur de l’évolution du climat de la planète Terre, l’une AVEC et l’autre SANS augmentation des concentrations atmosphériques de CO2. Dans la simulation par ordinateur du climat SANS augmentation de CO2, la température de l’eau et sa teneur en oxygène ne subissent que des variations naturelles vers le haut ou vers le bas qui ne durent que quelques années avant de se renverser, sans tendance nette à long terme. En revanche, dans la simulation du climat AVEC une augmentation du CO2, nos résultats montrent un rapide réchauffement et une rapide désoxygénation des eaux profondes du golfe du Saint-Laurent. Cela est dû à une réduction importante du transport d’eau du courant du Labrador vers l’ouest à partir de la queue des Grands Bancs de Terre-Neuve jusqu’à l’embouchure du chenal Laurentien, lieu d’origine des eaux profondes du golfe du Saint-Laurent. Un lien de cause à effet a ainsi pu être démontré entre l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère d’une part, et les observations de réchauffement et désoxygénation rapide des eaux profondes qui pénètrent dans le golfe du Saint-Laurent d’autre part (Gilbert et al. 2005).
Teneurs actuelles en oxygène dissous
Afin de bien interpréter les conséquences possibles de cette désoxygénation rapide liée au changement climatique, il faut d’abord décrire les teneurs actuelles d’oxygène dissous dans le golfe du Saint-Laurent. La carte géographique ici-bas montre les teneurs en oxygène dissous près du fond (moins de 10 m au-dessus du fond marin local) dans l’ensemble du golfe du Saint-Laurent.

Cette carte du golfe du Saint-Laurent montre que les taux de saturation en oxygène dissous près du fond marin sont généralement supérieurs à 50% aux endroits où la profondeur du fond est d’environ 150 m ou moins. Ces endroits sont relativement bien oxygénés actuellement. Aux profondeurs supérieures à 200 m, les taux de saturation en oxygène près du fond sont supérieurs à 50% dans la région du détroit de Cabot, mais se dégradent ensuite au fur et à mesure que nous nous déplaçons en direction de la tête des trois chenaux profonds du golfe du Saint-Lauren : le chenal Laurentien, le chenal Esquiman et le chenal Anticosti.

Une coupe verticale de la colonne d’eau le long du chenal Laurentien, entre Tadoussac à l’ouest et le détroit de Cabot à l’est, nous aide à se faire une meilleure représentation mentale en trois dimensions des teneurs en oxygène. Les chenaux Esquiman et Anticosti présentent une structure verticale similaire à celle du chenal Laurentien et ne sont pas montrés ici. Entre la surface de l’eau et 100 m de profondeur, les teneurs en oxygène dissous sont supérieures à 60% de saturation tout au long du chenal Laurentien. En revanche, à 250 m de profondeur, nous notons que les eaux s’appauvrissent graduellement en oxygène, passant d’environ 50% de saturation au détroit de Cabot pour descendre sous la barre des 20% près de Tadoussac.

Notre étude suggère que la baisse d’oxygène dissous observée autour de 250 m de profondeur va probablement se poursuivre au cours des prochaines décennies en raison de la poursuite de l’augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique, et ce malgré de possibles courtes périodes de hausses passagères dues à la variabilité naturelle.
Conséquences écosystémiques
Nous nous attendons à ce que les eaux moins profondes que 100 m demeurent bien oxygénées dans le futur et qu’elles puissent continuer de supporter une vie marine diversifiée. Compte tenu des patrons actuels de teneurs en oxygène, les zones qui présentent les plus grands risques de perte de biodiversité dans le futur en raison de baisses d’oxygène sont les têtes des chenaux Laurentien, Esquiman et Anticosti aux profondeurs supérieures à 150m.
Les espèces animales marines possèdent une très large gamme de niveaux de tolérance aux basses teneurs en oxygène dissous (Ekau et al. 2010). Par exemple, la morue est généralement absente des régions où la teneur en oxygène dissous près du fond tombe sous la barre de 30% de saturation. Le loup tacheté possède un seuil de tolérance également situé autour de 30% de saturation. D’autres espèces animales marines sont mieux adaptées au manque d’oxygène que la morue et le loup tacheté, pouvant tolérer des teneurs en oxygène dissous de 15%, 10% ou même 5% de saturation.
Toutefois, l’absence totale d’oxygène (anoxie) est incompatible avec les formes dites avancées de vie marine, car la respiration anaérobie est beaucoup moins efficace que la respiration aérobie pour extraire de la nourriture ingérée l’énergie nécessaire au maintien des fonctions vitales. Grosso modo, la respiration en présence d’oxygène peut fournir jusqu’à 19 fois plus d’énergie que la respiration en absence d’oxygène (voir illustration ici-bas). On comprend ainsi mieux pourquoi la présence d’oxygène est si cruciale pour le maintien de la vie animale marine.

Entrevues médiatiques liées à cette publication
- 2018-09-21 Interview with Bob McDonald of CBC Quirks & Quarks
- 2018-09-23 Entrevue avec Sophie-AndréeBlondin, Les années lumière, Radio-Canada (aller à 12h27)
- 2019-10-28 Téléjournal Est-du-Québec, avec Michel-Félix Tremblay (de 0m40s à 2m54s) accompagné d’un reportage écrit sur ICI Radio-Canada
- 2019-11-02 Entrevue avec Alexandre Shields, Le Devoir.
- 2019-11-21 Entrevue avec Patrick de Bellefeuille, Météomédia.
- 2019-12-21 Mary Caperton Morton pour Earth Magazine