Points de Lagrange-Euler : cinq places de stationnement spatiales
2019-02-10. Les cinq points de Lagrange-Euler du système Soleil-Terre sont des endroits où l’effet combiné de la force de gravité exercée par la Terre et par le Soleil est tel que si on y plaçait un corps de très faible masse, ce corps pourrait constamment se maintenir à la même position relativement à la Terre et au Soleil. Cette situation est illustrée dans le graphique ci-bas où les cercles verts identifiés par les chiffres 1 à 5 montrent la position des points de l’espace qui ont la même vitesse de rotation angulaire que la Terre (en bleu) autour du Soleil (en jaune).

L’oeuvre de deux hommes : Euler et Lagrange
Les trois premiers points (1, 2, 3), tous situés sur la ligne joignant la Terre au Soleil, furent découverts par le mathématicien et physicien suisse du XVIIIème siècle Leonhard Euler (1707-1783). Les deux derniers points (4 et 5) furent quant à eux découverts par le mathématicien et physicien Joseph-Louis Lagrange (1736-1813), d’origine italienne et plus tard naturalisé français. Euler et Lagrange ont entretenu une correspondance par lettres qui s’est échelonnée sur de nombreuses années et qui a mené à des travaux conjoints de grande importance en physique et en mathématiques. La tradition en physique veut néanmoins que nous référions à l’ensemble des cinq points en utilisant l’expression raccourcie « points de Lagrange ». Par conséquent, la lettre ‘L’ précède chacun des points 1 à 5 dans le graphique suivant (adapté de Wikimedia Commons).

Stables ou instables?
Les points L1, L2 et L3 sont instables (Cornish 1998), ce qui signifie qu’une infime perturbation de leur trajectoire s’amplifie avec le temps. Ainsi, dès qu’un corps situé à L1, L2 ou L3 est légèrement déplacé, il aura tendance à s’éloigner de plus en plus de ces points. Par conséquent, on ne trouve ni accumulation de poussière ni astéroïde aux points L1 à L3 des systèmes Terre-Soleil, Terre-Lune ou Jupiter-Soleil par exemple.

En revanche, il est possible de démontrer mathématiquement que lorsque la masse d’un des deux corps massifs (exemple: Soleil) est plus de 25 fois supérieure à la masse du deuxième corps massif (exemple: Jupiter), les points L4 et L5 sont stables (Cornish 1998). On peut donc y trouver des accumulations de poussière et des astéroïdes qui tournent autour de L4 et L5. Ici la plus grosse planète du système solaire vole la vedette avec plusieurs milliers d’astéroïdes dits « troyens » observés en orbite autour des points L4 et L5 du système Jupiter-Soleil. Quant au système Terre-Soleil, on ne lui connait à ce jour qu’un seul astéroïde troyen, poétiquement nommé 2010 TK7, dont l’orbite autour de L4 a une période de 395 années (Connors et al 2011).
Satellites artificiels en orbite autour du point L1
Le point de Lagrange L1 se trouve entre la Terre et le Soleil, à 1.5 million de kilomètres de la Terre. Pour mettre les choses en perspective, le point L1 se trouve ainsi 4 fois plus éloigné de la Terre que la Lune (384 000 km), mais 100 fois moins éloigné de la Terre que le Soleil (150 millions de km).
Le point de Lagrange L1 est un endroit idéal pour faire l’observation du soleil et du vent solaire. Même si ce point de Lagrange est instable, il suffit de faire de très légères corrections de trajectoire aux satellites artificiels que nous y plaçons, à intervalles d’environ 3 à 4 semaines, pour arriver à les maintenir en orbite autour de L1 en utilisant très peu de carburant. Voici quelques exemples de satellites actuellement en orbite autour de L1.
- Le satellite WIND, lancé en 1994 et toujours en fonction, est doté de 7 instruments lui permettant de mesurer les ondes radio et le plasma du vent solaire.
- Le satellite SoHO (Solar and Heliosheric Observatory), lancé en 1995 et toujours en fonction, est doté de 12 instruments et nous fournit des informations sur le vent solaire et la météorologie spatiale.
- Le satellite ACE (Advanced Composition Explorer), lancé en 1997 et toujours en fonction, est doté de 9 instruments permettant d’analyser la composition des particules faisant partie du vent solaire ou des rayons cosmiques.
- DSCOVR (Deep Space Climate Observatory), lancé en 2015, mesure également le vent solaire. Mais l’un de ses 5 instruments, nommé EPIC (Earth Polychromatic Imaging Camera), est tourné vers la Terre. Cette caméra prend de splendides photos à chaque 2 heures de la moitié de la surface de la Terre qui est éclairée par le soleil. Les photos les plus récentes sont mises à jour quotidiennement ici et valent vraiment la peine que l’on y jette un coup d’œil. À titre d’exemple, le 5 juillet 2016, EPIC a capturé un premier événement de transit lunaire (la Lune qui passe devant la Terre) mettant en vedette la face cachée de la Lune que nous ne pouvons jamais voir à partir de la Terre !

(Earth Polychromatic Imaging Camera)
La caméra EPIC possède un champ de vision de 0.62°, ce qui suffit amplement pour bien voir l’ensemble de la planète Terre dont la grandeur nominale est de 0.5° lorsque vue à partir du point de Lagrange L1.
Satellites artificiels en orbite autour du point L2
Le point de Lagrange L2 se trouve à la même distance de la Terre que le point L1 (1.5 million de kilomètres), mais il se situe du côté plus éloigné par rapport au soleil. Ce plus grand éloignement par rapport au soleil, combiné au fait que ni la Terre ni la Lune ne viennent jamais obstruer son champ de vision vers l’extérieur du système solaire, en font un endroit idéal pour y placer des télescopes spatiaux.
- Le télescope spatial infrarouge Herschel, actif de 2009 à 2013, était spécialisé pour l’observation d’objets froids dans le système solaire, dans la Voie Lactée et même au-delà.
- Le télescope spatial Planck, lui aussi actif de 2009 à 2013, fut conçu pour cartographier le fond de micro-ondes cosmique issu du Big Bang.
- Le télescope spatial Gaia, lancé en 2013 et toujours en fonction, mesure les positions, distances et mouvements des étoiles de la Voie Lactée avec une précision sans précédent.
- Quant au télescope spatial James Webb, lancé le 25 décembre 2021, il peut mesurer les ondes électromagnétiques de la couleur orange (0.6 micron) jusqu’à l’infrarouge moyen (27 microns). Il permettra la détection de galaxies encore plus lointaines que ce que nous avons pu détecter avec le télescope spatial Hubble. Le télescope James Webb permettra aussi d’analyser la composition chimique de l’atmosphère d’exoplanètes (planètes situées en-dehors du système solaire) grâce à la spectroscopie.

Satellites ou stations spatiales autour des points L3, L4 et L5
En date d’aujourd’hui, aucun satellite et aucune station spatiale n’ont été placés en orbite autour des points L3, L4 ou L5 du système Terre-Soleil.
Puisque le point L3 est situé en tout temps du côté opposé du Soleil et est par conséquent toujours invisible à partir de la Terre, les auteurs de science-fiction y ont parfois imaginé la présence d’une station spatiale d’extra-terrestres ou autres choses exotiques dans ce genre. Cependant les sondes spatiales qui ont pu y jeter un coup d’oeil n’y ont rien détecté, ce qui décevra certaines personnes adeptes des théories du complot…
Quant aux points L4 et L5, les auteurs de science-fiction ont déjà imaginé des scénarios où l’espèce humaine établirait des stations spatiales qui serviraient de relais pour les astronautes entre la Terre et le reste du système solaire, voire du cosmos. Nous ne sommes pas encore rendus là du point de vue technologique, mais rien ne nous empêche d’y rêver !

Crédit: Donald Davis [domaine public], via Wikimedia Commons
Pour approfondir le sujet
- Point de Lagrange. Wikipedia, article consulté le 9 juillet 2022.
- Cornish, N.J., 1998. The Lagrange points. NASA WMAP Education and Outreach.
- Connors, M., P. Wiegert and C. Veillet, 2011. Earth’s Trojan asteroid. Nature, 475: 481–483.