Émissions de CO2 des véhicules électriques sur l’ensemble de leur cycle de vie
2019-05-24. Sur l’ensemble de leur cycle de vie (extraction des minerais, fabrication, utilisation, recyclage), les véhicules électriques roulant au Québec émettent trois fois moins de CO2 que les véhicules à essence pour une distance parcourue de 150 000 km. Si nous doublons cette distance parcourue à 300 000 km, alors les véhicules électriques au Québec émettent jusqu’à cinq fois moins de CO2 que les véhicules à essence sur l’ensemble de leur cycle de vie. L’achat d’un véhicule électrique plutôt qu’un véhicule à essence est donc un moyen efficace de lutter contre le réchauffement climatique au Québec.
Intensité carbone liée à la génération d’électricité au Canada
Le facteur le plus important du bilan CO2 du cycle de vie d’un véhicule électrique est la composition du bouquet énergétique servant à générer l’électricité dans la région où ce véhicule est utilisé. Dans la version intégrale du Rapport d’inventaire national remis à la Convention-Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) en avril 2019, on retrouve à l’Annexe 13 de la Partie 3 l’intensité d’émissions de CO2 pour la génération locale et pour la consommation locale d’électricité dans chacune des 10 provinces et chacun des 3 territoires du Canada. Le graphique ici-bas montre l’intensité carbone de l’électricité consommée en 2017.

En Colombie-Britannique, au Manitoba, au Québec, à Terre-Neuve-et-Labrador ainsi qu’au Yukon, l’hydroélectricité qui émet très peu de CO2 domine largement le bouquet d’énergie électrique. En Ontario, l’hydroélectricité joue également un grand rôle dans le bouquet d’énergie électrique, de même que l’énergie nucléaire dont l’empreinte carbone est quasi nulle. La fermeture de grandes centrales thermiques au charbon en Ontario s’est complétée en 2014, permettant à cette province de rejoindre le peloton de tête des électricités parmi les plus propres au Canada et au monde.
Émissions CO2 des véhicules électriques et des véhicules conventionnels
Sur les marchés où près de 100% de l’électricité est produite à partir d’énergies renouvelables ou d’énergie nucléaire, les émissions de CO2 associées à la recharge des batteries de véhicules électriques sont essentiellement égales à zéro. Par conséquent, l’empreinte carbone des véhicules entièrement électriques (VEÉ) après 150 000 km d’utilisation de la route est presque identique à l’empreinte carbone au moment où ces véhicules sortent de l’usine de production (0 km). C’est essentiellement le cas dans des pays comme la Norvège et la Suède, ainsi qu’au Yukon et dans les provinces canadiennes de la Colombie-Britannique, Terre-Neuve-et-Labrador, Ontario, Manitoba et Québec.
La situation est totalement différente pour les véhicules avec moteur à combustion interne (VMCI), qui commencent à la sortie de l’usine (0 km) avec une empreinte carbone inférieure aux VEÉ, mais qui ont ensuite besoin de brûler de l’essence ou du diesel pendant toute leur existence.
Le parc canadien de voitures, de VUS et de camionnettes affiche le taux de consommation d’essence moyen le plus élevé au monde, à 8,9 L / 100 km (IEA, 2019). Avec ce taux de consommation d’essence, parcourir 150 000 km nécessite 84 barils de 159 litres d’essence chacun, ce qui donne un grand total de 13356 litres d’essence. Le faible avantage initial (à 0 km) du VMCI sur le VEÉ au niveau de l’empreinte carbone dure donc très peu longtemps, puisque lorsque que nous atteignons une distance parcourue de 150 000 km, l’empreinte carbone d’un seul VMCI devient alors équivalente à celles de trois VEÉ additionnées ensemble. Comment savons-nous cela ? Nous le savons grâce à ce que les spécialistes du domaine appellent des analyses de cycle de vie (ACV).

Analyses de cycle de vie (ACV)
Je présente d’abord les principales conclusions de deux analyses de cycle de vie (ACV) comparatives de VEÉ et VMCI. La première ACV a été réalisée au Québec tandis que la seconde a été réalisée en Europe. Je présente ensuite les résultats d’une publication qui met en relief l’importance de tenir compte des émissions de CO2 très différentes pour l’ensemble du cycle de vie d’un pays à l’autre au sein même de l’Europe. La Norvège avec son hydroélectricité se distingue fortement de l’Allemagne ou de la Pologne qui dépendent beaucoup du charbon pour produire leur électricité.
ACV prenant en compte la faible intensité carbone de l’électricité produite par Hydro-Québec
Au Québec, l’analyse la plus exhaustive sur le cycle de vie complet des véhicules personnels a été publiée en avril 2016 par le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), pour le compte d’Hydro-Québec qui en était le commanditaire (CIRAIG, 2016).
Cette analyse comparative entre les VEÉ et les VMCI, pour une distance parcourue totale de 150 000 km et pour le bouquet d’énergie électrique du Québec (99% d’énergie renouvelable) menait aux cinq principales conclusions suivantes.
1) Pour la santé humaine, les impacts nocifs du VEÉ sont inférieurs de 29 % à ceux du VMCI.

2) Pour la qualité des écosystèmes, les impacts négatifs du VEÉ sont inférieurs de 58 % à ceux du VMCI.

3) Le VEÉ permet une réduction de 65 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au VMCI, contribuant ainsi de façon importante à la lutte au réchauffement climatique. Si on allonge la distance parcourue à 300 000 km, l’ACV du CIRAIG (2016) montre une réduction de 80% des émissions de CO2 du VEÉ comparativement au VMCI. Le VEÉ émettrait ainsi cinq fois moins de CO2 que le VMCI sur 300 000 km en tenant compte de l’ensemble du cycle de vie.

4) Pour l’épuisement des ressources fossiles (surtout pétrole), le VEÉ étant beaucoup plus sobre en carbone contribue à cet épuisement dans une proportion moindre (65%) que le VMCI.

5) Pour l’épuisement des ressources minérales, le VEÉ nécessite 25% plus de minéraux que le VMCI. On fait ici référence à l’exploitation minière qui sert à extraire l’aluminium pour alléger le poids du VEÉ, au cuivre qui entre dans la fabrication du moteur électrique, ainsi qu’au lithium, cobalt, nickel, graphite et manganèse qui entrent dans la composition des batteries. Sur le plan environnemental, il s’agit là d’un point de comparaison défavorable du VEÉ comparativement au VMCI selon CIRAIG (2016).

ACV prenant en compte l’intensité carbone individuelle de plusieurs pays Européens
Le 22 novembre 2018, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) publiait une étude du cycle de vie complet des véhicules électriques adaptée au contexte Européen.
Afin de comparer des pommes avec des pommes lorsqu’on transpose une étude Européenne au contexte Québécois, il importe de tenir compte de la plus grande importance des énergies renouvelables dans le bouquet d’énergie Québécois.
Le bouquet d’énergie électrique Européen pris en compte dans l’étude de l’AEE (TERM 2018) possédait une intensité carbone (353 g éq. CO2/kWh, Ellingsen & Hung 2018) qui est seize (16) fois plus grande que celle du bouquet d’énergie électrique du Québec qui avait été prise en compte dans l’étude 2016 du CIRAIG (22 g éq. CO2/kWh selon CIRAIG 2014). Ceci s’explique par le rôle important que jouent encore les centrales thermiques au charbon et au gaz naturel pour la génération d’électricité dans plusieurs pays Européens.
La différence d’un facteur 16 entre les bouquets d’énergie électrique Québécois et Européen m’a permis d’ajouter une cinquième colonne aux trois graphiques synthèse qui paraissent à la toute fin de l’analyse de cycle de vie Européenne (TERM 2018). J’ai donc modifié les trois graphiques ici-bas en procédant ainsi: 1) j’ai copié-collé la colonne « BEV – European electricity mix » pour créer la colonne « BEV – Québec electricity mix »; 2) j’ai ensuite réduit d’un facteur 16 la hauteur de colonne reliée au combustible/électricité (fuel/electricity) pour la phase d’utilisation du véhicule, en raison de la très faible empreinte carbone du bouquet énergétique Québécois.

Tout comme pour l’étude d’ACV commanditée par Hydro-Québec, on note que le VEÉ aide à atténuer le changement climatique dans une proportion d’environ 65% par rapport au VMCI lorsqu’on utilise le bouquet énergétique Québécois au lieu du bouquet énergétique Européen. Ceci confère un caractère robuste à la conclusion selon laquelle les VEÉ représentent un moyen efficace de lutter contre le réchauffement climatique en permettant de réduire des deux tiers les émissions de gaz à effet de serre lorsqu’on les compare avec les VMCI au Québec.

L’indicateur « toxicité humaine » de l’ACV européenne est plus favorable au VMCI dont l’impact est environ la moitié de celui du VEÉ. En majeure partie, ce sont les habitants des régions situées à proximité des zones d’extraction de minerais (en Chine et ailleurs) qui sont les plus exposés à ce danger.

Selon cet indicateur, c’est lors de la phase d’extraction des ressources minérales puis de la production de la batterie que le VEÉ est le plus néfaste pour les écosystèmes d’eaux douces. L’ACV suggère un impact écotoxique en eaux douces supérieur d’environ 33% pour le VEÉ comparé au VMCI. Les procédés industriels de fabrication des batteries et de la carrosserie du VEÉ devront devenir eux-mêmes plus sobres en carbone afin d’améliorer cet aspect du bilan environnemental du VEÉ.
ACV prenant en compte l’intensité carbone individuelle de plusieurs pays Européens
Hall et Lutsey (2018) ont quant à eux produit une étude qui compare les empreintes CO2 liées aux véhicules électriques dans divers pays Européens. J’en reproduis ici la Figure 1, mais en y ajoutant une colonne supplémentaire pour un véhicule électrique au Québec, dont le bouquet d’énergie électrique est identique à celui de la Norvège. J’ai également ajouté une colonne supplémentaire pour un véhicule conventionnel à essence pour le Canada.
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie (Tableau 1, IEA 2019), la consommation moyenne d’essence de 8,9 L/100 km au Canada est 59% plus élevée que la moyenne des quatre plus grands pays de l’Union Européenne (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) qui est de 5,6 L/100 km. Cette plus grande consommation d’essence au Canada s’explique en grande partie par le poids d’un véhicule moyen au Canada (1717 kg) qui est 24% plus élevé que pour ces quatre pays Européens (1388 kg). Conformément à ces statistiques, j’ai calculé l’empreinte CO2 du véhicule conventionnel Canadien à partir de l’empreinte CO2 du véhicule conventionnel Européen en augmentant de 59% les émissions CO2 issues du tuyau d’échappement, en augmentant aussi de 59% les émissions de CO2 liées au cycle de vie du carburant (essence), et en augmentant de 24% les émissions de CO2 nécessaires à la fabrication d’un véhicule qui est 24% plus lourd au Canada qu’en Europe.

On note plusieurs points intéressants sur ce graphique.
- D’abord, il y a l’absence totale d’émissions de CO2 via le tuyau d’échappement pour les VEÉ, peu importe le pays où l’on se trouve. L’expression « véhicule zéro émission » ne s’applique qu’aux émissions via le tuyau d’échappement.
- Ensuite, on note à quel point la partie « Cycle de vie du carburant » varie d’un pays à l’autre pour les véhicules électriques. L’Allemagne emploie beaucoup de charbon pour produire son électricité, tandis que la France dépend surtout de l’énergie nucléaire qui n’émet pas de CO2.
- La Norvège n’a aucune émission CO2 liée au cycle du carburant, car elle génère plus de 99% de son électricité à partir d’énergies renouvelables, comme le Québec.
- Le véhicule conventionnel canadien moyen émet environ 50% plus de CO2 que le véhicule conventionnel Européen moyen. En conséquence, lorsqu’on compare les émissions de CO2 des VEÉ avec celles des VMCI, il est plus difficile pour les VEÉ de faire mieux que les VMCI en Europe qu’au Canada.
- Dans le cas du VEÉ au Québec et en Norvège, c’est exclusivement à l’étape de la fabrication du véhicule et de sa batterie que surviennent les émissions de CO2. Dans ces deux cas, l’appellation « véhicule zéro émission » prend un double sens, puisqu’en plus des émissions de CO2 qui sont nulles au niveau du tuyau d’échappement, elles sont également nulles pour le cycle de vie du carburant (électricité dans ce cas-ci).
Conclusion
Nous pouvons conclure en toute confiance qu’au Québec, les VEÉ constituent une façon efficace pour les citoyens de réduire l’empreinte carbone liée à leurs déplacements en automobile. À sa sortie de l’usine, l’empreinte carbone (CO2) d’un VEÉ est supérieure à celle d’un VMCI. Cependant, après avoir parcouru une distance de 150 000 km, il faudrait additionner l’empreinte carbone de trois VEÉ pour qu’elle devienne équivalente à celle d’un seul VMCI. Et sur 300 000 km, il faudrait additionner l’empreinte carbone de cinq VEÉ pour qu’elle soit équivalente à celle d’un seul VMCI.
Par ailleurs, étant donné que la Chine et la plupart des autres pays à travers le monde travaillent à réduire l’intensité carbone de leur électricité, le bilan CO2 des VEÉ ne peut que s’améliorer dans le futur.
D’autres facettes du bilan environnemental des véhicules électriques sont toutefois moins enviables, notamment en ce qui a trait à l’épuisement des ressources minérales comme le lithium, le cuivre, le manganèse, le graphite et le cobalt. L’exploitation du travail des enfants dans des mines de cobalt en République Démocratique du Congo doit continuer d’être dénoncée. Les fabricants de VEÉ travaillent notamment à la conception de batteries qui emploient moins de cobalt.
Le bilan environnemental des VEÉ n’est certes pas parfait, mais attendre la perfection est une garantie d’absence totale d’action climatique. L’urgence climatique ne nous donne pas le luxe d’attendre une solution parfaite pour remplacer les véhicules conventionnels (VMCI).
Pistes de réflexion pour futures analyses de cycle de vie
Les deux analyses de cycle de vie (ACV) présentées ici (CIRAIG 2016 et TERM 2018) dépendaient en grande partie des travaux détaillés de Hawkins et coll. (2013) portant sur un seul modèle de VEÉ (Nissan Leaf avec batterie de 24 kWh) et un seul modèle de VMCI (Mercedes Benz A). Énormément de choses ont changé depuis 2013 quant à la taille des batteries (60 kWh et plus) et à leur composition chimique qui emploie de moins en moins de cobalt par exemple. Les bouquets d’énergie électrique ont également évolué au fil des années, avec une intensité carbone généralement à la baisse dans la plupart des pays en vertu de l’Accord de Paris sur le climat.
Il serait intéressant de rafraîchir l’étude du CIRAIG 2016 en employant des modèles de véhicules plus récents, compte tenu de la rapidité avec laquelle évoluent les VEÉ. Un match comparatif entre la Hyundai Kona à essence et la Hyundai Kona électrique avec une batterie de 60 kWh permettrait de comparer deux modèles très proches parents l’un de l’autre. Un autre modèle récent et très populaire qu’il serait intéressant d’évaluer est la Tesla Model 3 dont la batterie est fabriquée au Nevada où l’intensité carbone de l’électricité est beaucoup plus faible qu’en Chine.