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Niveau de la mer: faits saillants du rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère

2022-11-27. En 2019 le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié un rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique. Ceci a permis de mettre à jour les projections de hausse du niveau de la mer à l’échelle planétaire jusqu’en 2100. Cette 51ème session du GIEC s’est déroulée à Monaco du 20 au 24 septembre 2019. 

En tant que physicien et océanographe spécialiste du climat à Pêches et Océans Canada, j’ai fait partie de la délégation canadienne de 7 membres qui a participé à la révision du résumé à l’intention des décideurs de ce rapport spécial communément désigné par son acronyme anglais SROCC (IPCC Special Report on the Ocean and Cryosphere in a changing Climate). Une description détaillée de nos cinq journées de travail se trouve ici.

Dans cet article de blog, je mets l’emphase sur les parties du rapport SROCC reliées à la hausse du niveau moyen mondial de la mer. Les lettres majuscules et les chiffres qui apparaissent en caractères gras au début de chacun des paragraphes proviennent du résumé à l’intention des décideurs. Ces paragraphes sont reproduits ici-bas verbatim avec les plages de valeurs probables et les estimations de degré de confiance qui ont fait l’objet du consensus scientifique de SROCC. J’ai toutefois pris la liberté de mettre en caractères gras quelques phrases.

Changements physiques observés

A.1.1 La masse des calottes glaciaires et des glaciers a diminué dans le monde entier (degré de confiance très élevé). Entre 2006 et 2015, la calotte glaciaire du Groenland a perdu 278 ± 11 Gt de masse par an en moyenne (ce qui correspond à une élévation du niveau de la mer de 0,77 ± 0,03 mm/an à l’échelle du globe), essentiellement sous l’effet de la fonte en surface (degré de confiance élevé). Au cours de la période 2006–2015, la perte moyenne de masse de la calotte glaciaire de l’Antarctique s’est établie à 155 ± 19 Gt/an (0,43 ± 0,05 mm/an), causée surtout par l’amincissement et le recul rapides des grands glaciers émissaires qui drainent la calotte de l’Antarctique de l’Ouest (degré de confiance très élevé). Entre 2006 et 2015, les glaciers situés ailleurs qu’au Groenland et en Antarctique ont perdu de la masse à un rythme moyen de 220 ± 30 Gt/an (ce qui correspond à une élévation du niveau de la mer de 0,61 ± 0,08 mm/an).

A.3.1 L’élévation totale du niveau moyen de la mer global pour la période 1902-2015 est de 0,16 m (0,12–0,21 m, fourchette très probable). Le rythme d’élévation entre 2006 et 2015, soit 3,6 mm/an (3,1–4,1 mm/an, fourchette très probable), est sans précédent au cours du siècle dernier (degré de confiance élevé) et correspond à environ 2,5 fois le taux de la période 1901–1990 de 1,4 mm/an (0,8–2,0 mm/an, fourchette très probable). De 2006 à 2015, l’apport cumulé des calottes glaciaires et des glaciers a été la source principale d’élévation du niveau de la mer (1,8 mm/an, fourchette très probable de 1,7–1,9 mm/an), excédant l’effet de la dilatation thermique des eaux océaniques (1,4 mm/an, fourchette très probable de 1,1–1,7 mm/an) (degré de confiance très élevé). Le forçage anthropique est la principale cause de l’élévation du niveau moyen de la mer à l’échelle du globe depuis 1970 (degré de confiance élevé).

A.3.2 L’élévation du niveau de la mer a accéléré (extrêmement probable) en raison de l’augmentation de la perte combinée de glace des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique (degré de confiance très élevé). La perte de masse de l’Antarctique a triplé sur la période 2007–2016 par rapport à la période 1997–2006. Pour le Groenland, elle a doublé sur la même période (probable, confiance moyenne).

A.3.3 Une accélération de l’écoulement et du recul de la calotte Antarctique, qui a le potentiel d’élever le niveau de la mer de plusieurs mètres en quelques siècles, est observée dans la baie de la mer d’Amundsen (Antarctique de l’Ouest) et dans la terre de Wilkes (Antarctique de l’Est) (degré de confiance très élevé). Il est possible que ces changements marquent le début d’une instabilité irréversible de la calotte glaciaire dans ces régions. L’incertitude sur le démarrage d’une instabilité de la calotte glaciaire provient d’observations limitées, d’une représentation inadéquate de certains processus dynamiques spécifiques des calottes glaciaires dans les modèles, et d’une compréhension limitée des interactions complexes entre l’atmosphère, l’océan et les calottes glaciaires.

A.3.4 L’élévation du niveau de la mer n’est pas uniforme partout sur la planète et varie d’une région à l’autre. Les écarts régionaux, de ± 30 % par rapport à l’élévation moyenne globale, sont dus aux pertes de glace continentale et aux variations du réchauffement de l’océan et de sa circulation. Les écarts par rapport à la moyenne globale peuvent être plus grands dans les zones concernées par un mouvement vertical rapide des terres émergées, celui-ci pouvant provenir de l’effet d’activités humaines locales (prélèvement d’eaux souterraines, par exemple). (degré de confiance élevé)

Changements physiques projetés

B.1.1 La perte de masse projetée des glaciers (à l’exclusion des calottes glaciaires) entre 2015 et 2100 atteint 18 ± 7 % (fourchette probable) selon le RCP2.6 et 36 ± 11 % (fourchette probable) selon le RCP8.5, ce qui correspond à un apport de 94 ± 25 mm (fourchette probable) en équivalent niveau de la mer selon le RCP2.6 et de 200 ± 44 mm (fourchette probable) selon le RCP8.5 (degré de confiance moyen). Dans les régions où l’on trouve surtout des petits glaciers (Europe centrale, Caucase, nord de l’Asie, Scandinavie, Andes tropicales, Mexique, Afrique de l’Est et Indonésie), leur perte de masse devrait excéder 80 % d’ici à 2100 selon le RCP8.5 (degré de confiance moyen) et beaucoup de glaciers devraient disparaître quel que soit le niveau futur d’émissions (degré de confiance très élevé).

B.1.2 En 2100, la contribution projetée de la calotte glaciaire du Groenland à l’élévation du niveau moyen des mers atteint 0,07 m (0,04–0,12 m, fourchette probable) selon le RCP2.6 et 0,15 m (0,08–0,27 m, fourchette probable) selon le RCP8.5. Quant à la calotte glaciaire de l’Antarctique, la projection de sa contribution atteint 0,04 m en 2100 (0,01–0,11 m, fourchette probable) selon le RCP2.6 et 0,12 m (0,03–0,28 m, fourchette probable) selon le RCP8.5. Actuellement, le Groenland contribue davantage que l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer (degré de confiance élevé), mais l’Antarctique pourrait devenir un plus grand contributeur d’ici à la fin du XXIe siècle en cas de recul rapide (degré de confiance faible). Au-delà de 2100, l’écart grandissant entre la contribution du Groenland et de l’Antarctique à l’élévation du niveau moyen de la mer à l’échelle du globe selon le RCP8.5 aurait des conséquences marquées sur le rythme de l’élévation du niveau relatif de la mer dans l’hémisphère Nord.

B.3.1 Dans le cas du RCP2.6, l’élévation moyenne projetée du niveau de la mer à l’échelle du globe atteint 0,39 m (0,26–0,53 m, fourchette probable) en 2081–2100 et 0,43 m (0,29–0,59 m, fourchette probable) en 2100 par rapport à 1986–2005. Dans le cas du RCP8.5, elle est de à 0,71 m (0,51–0,92 m, fourchette probable) en 2081–2100 et atteint 0,84 m (0,61–1,10 m, fourchette probable) en 2100. Les projections de l’élévation du niveau moyen de la mer en 2100 dans le cas du RCP8.5 sont revues à la hausse de 0,1 m par rapport aux estimations du cinquième Rapport d’évaluation et la fourchette probable va au-delà d’1 m en 2100, la perte de glace de la calotte Antarctique ayant été revue à la hausse (degré de confiance moyen). L’incertitude des valeurs à la fin du siècle est principalement due à la contribution des calottes glaciaires, en particulier celle de l’Antarctique.

B.3.2 Les projections du niveau de la mer présentent des écarts régionaux par rapport à la moyenne globale. Divers processus non liés à l’évolution récente du climat, telle la subsidence locale causée par des phénomènes naturels et certaines activités humaines, jouent un rôle majeur dans la variation du niveau marin relatif à la côte (degré de confiance élevé). Même si l’importance relative de l’élévation du niveau de la mer due au climat croît avec le temps dans les projections, il est indispensable de prendre en compte les processus locaux dans les projections de montée des mers et leurs impacts (degré de confiance élevé).

B.3.3 Il est projeté que le rythme d’élévation du niveau moyen de la mer à l’échelle du globe atteindra, en 2100, 15 mm/an en moyenne (10–20 mm/an, fourchette probable) dans le cas du RCP8.5 et dépassera plusieurs centimètres par an au cours du XXIIe siècle. Il atteindra 4 mm/an (2 à 6 mm/an, fourchette probable) en 2100 dans le cas du RCP2.6. Les études de modélisation indiquent une montée des eaux de plusieurs mètres d’ici à 2300 (2,3–5,4 m et 0,6–1,07 m dans les cas des RCP8.5 et RCP2.6, respectivement) (degré de confiance faible), soulignant l’importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’ampleur de la montée du niveau des mers.

B.9.1 En l’absence de mesures d’adaptation plus ambitieuses qu’aujourd’hui et vu la hausse actuelle de l’exposition et de la vulnérabilité des populations côtières, les risques tels que l’érosion et la perte de terres, les inondations, la salinisation et les impacts en cascade de l’élévation du niveau moyen de la mer et des phénomènes extrêmes devraient augmenter substantiellement tout au long du XXIe siècle, quel que soit le scénario d’émissions de gaz à effet de serre (degré de confiance très élevé). Selon les mêmes hypothèses, les dommages annuels causés par les submersions côtières seront multipliés par cent ou mille d’ici à 2100 par rapport à aujourd’hui (degré de confiance élevé).

Options de gouvernance dans les communautés côtières

C.3.1 Plus le niveau de la mer s’élève, plus la protection du littoral s’avère difficile en raison d’obstacles davantage économiques, financiers et sociaux que de limites techniques (degré de confiance élevé). Au cours des prochaines décennies, la diminution des facteurs locaux d’exposition et de vulnérabilité, tels que l’urbanisation du littoral et la subsidence due aux activités humaines, est une stratégie efficace (degré de confiance élevé). Lorsque l’espace est limité et que la valeur des biens exposés est élevée (dans les villes, par exemple), il est probable qu’une protection en dur (digue, etc.) constituera une option rentable au XXIe siècle, en tenant compte des particularités propres à chaque contexte (degré de confiance élevé), mais les zones ayant des ressources limitées pourraient ne pas être en mesure de se permettre de tels investissements. Quand l’espace n’est pas limité, l’adaptation fondée sur les écosystèmes peut réduire les risques côtiers et procurer de multiples autres bénéfices, dont le stockage de carbone, l’amélioration de la qualité de l’eau, la sauvegarde de la biodiversité et l’accès à des moyens de subsistance (degré de confiance moyen).

C.3.2 Face aux niveaux marins actuels, certaines mesures d’aménagement du littoral, comme les systèmes d’alerte précoce et la protection des bâtiments contre les inondations, sont souvent peu coûteuses et très efficaces pour le niveau actuel des mers (degré de confiance élevé). L’élévation projetée de la montée des mers et l’augmentation des aléas côtiers rendent certaines de ces mesures moins efficaces si elles ne sont pas combinées à d’autres mesures (degré de confiance élevé). Toutes les catégories d’options envisageables, y compris la protection, l’accommodation, l’adaptation fondée sur les écosystèmes, l’avancée sur la mer et la relocalisation planifiée (si d’autres emplacements sont disponibles) peuvent jouer un rôle important dans ces réponses intégrées (degré de confiance élevé). Lorsque la communauté touchée est de petite taille ou à la suite d’une catastrophe, il est pertinent d’envisager de réduire les risques par une relocalisation planifiée, à condition que des lieux d’accueil sûrs soient disponibles. Une telle relocalisation planifiée peut se heurter à des obstacles de nature sociale, culturelle, financière et politique (degré de confiance très élevé).

Paléoclimatologie

Selon le SROCC (p. 323), lors de la dernière ère interglaciaire entre 116 000 et 129 000 années passées, le niveau de la mer moyen mondial était entre 6 et 9 m plus élevé qu’aujourd’hui alors que la température de l’air était entre 0,5 et 1,0°C plus chaude qu’à l’ère préindustrielle. 

Toujours selon le SROCC (p. 323), entre 3,0 et 3,3 millions d’années passées, alors que la température de l’air mondiale était entre 2°C et 4°C plus chaude qu’à l’ère préindustrielle, il est plausible que le niveau moyen mondial de la mer ait pu être jusqu’à 25 m plus élevé qu’aujourd’hui. 

 Les études paléoclimatiques nous montrent donc que la possibilité d’une hausse de plusieurs mètres du niveau moyen mondial de la mer ne peut pas être écartée au-delà de 2100. Cela nous fournit des arguments convaincants en vue de nous affranchir le plus tôt possible de notre dépendance aux énergies fossiles si nous voulons éviter les coûts exorbitants liés à la protection de nos infrastructures côtières ou encore à l’exode pour faire face à une telle hausse du niveau de la mer. 

Référence

GIEC, 2019 : Résumé à l’intention des décideurs, Rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique [sous la direction de H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, V. Masson-Delmotte, P. Zhai, M. Tignor, E. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Nicolai, A. Okem, J. Petzold, B. Rama et N. M. Weyer], sous presse.

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