Que nous réserve El Niño?
2023-09-26 El Niño est de retour depuis juillet 2023, et les dernières prévisions indiquent qu’il s’agira vraisemblablement d’un épisode de forte intensité. Selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, il y aurait plus de 95 % de probabilité qu’El Niño se poursuive jusqu’en mars 2024 et 71 % de probabilité qu’il soit de forte amplitude.
L’hiver 2024 risque donc de rappeler celui de 1998 et, peut-être aussi, son historique tempête de verglas au Québec. Faut-il s’en inquiéter ? Pas nécessairement, puisque d’autres épisodes majeurs El Niño, survenus en 1982-1983 et en 2015-2016, n’ont pas causé de tempête de verglas comparable. Mais les prévisions sont difficiles, car il n’y a pas deux épisodes El Niño pareils.
El Niño, un réchauffement des eaux de surface du Pacifique équatorial, affecte les régions du monde de différentes manières. Il a tendance à apporter davantage de pluies et de tempêtes dans le Pacifique oriental (Pérou, Chili) et moins dans le Pacifique occidental (Indonésie, Australie). Au Canada, les provinces de l’Ouest et du Centre sont généralement plus touchées par El Niño que le Québec et les autres provinces de l’Est, situés relativement loin du Pacifique.
Qu’est-ce qu’El Niño?
Une brève explication du phénomène aide à comprendre pourquoi les prévisions météorologiques le concernant sont si ardues. Le vaste océan Pacifique, dont la largeur de 20 000 km fait la moitié de la circonférence terrestre, est le lieu d’une interaction entre l’océan et l’atmosphère d’une ampleur inégalée ailleurs dans le monde. Cette interaction s’apparente à une danse entre deux partenaires.
Du côté de l’océan, le réchauffement des eaux de surface caractéristique d’El Niño survient principalement près des côtes de l’Amérique du Sud. Il revient tous les deux à sept ans, et sa durée ainsi que sa force varient d’une fois à l’autre. On le dit de forte amplitude lorsque la température de l’eau augmente de plus de 1,5 °C. La phase opposée, nommée La Niña, consiste quant à elle en un refroidissement de ces mêmes eaux de surface, également tous les deux à sept ans. Ces oscillations entre les phases El Niño et La Niña n’auraient pas l’ampleur qu’on leur connaît sans la forte rétroaction du partenaire de danse, l’atmosphère.
De ce côté, on observe des variations de la pression atmosphérique. En général, celle-ci est plus élevée à l’est du Pacifique équatorial qu’à l’ouest, ce qui engendre une circulation des masses d’air vers l’ouest ; ce sont les vents alizés qui soufflent vers l’ouest le long de l’équateur. Lors d’une phase La Niña, cette différence de pression atmosphérique augmente et les vents alizés se renforcent. À l’inverse, lors d’un El Niño, la différence de pression atmosphérique entre l’Est et l’Ouest diminue, ce qui cause un affaiblissement des alizés et parfois même l’inversion de leur direction. Ces variations de pression atmosphérique portent le nom de phénomène d’oscillation australe. Là encore, ces phénomènes atmosphériques ne pourraient pas avoir l’ampleur observée sans la forte rétroaction du partenaire de danse océanique. Quoi de mieux qu’une animation comme celle-ci pour nous aider à visualiser cette rétroaction en trois dimensions ?
Alors, qui mène la danse ? L’océan ou l’atmosphère ? Ni l’un ni l’autre, mais plutôt les deux à la fois. Voilà pourquoi les océanographes et les météorologues emploient couramment le terme ENOA (El Niño – oscillation australe) pour décrire le fort couplage de l’océan et de l’atmosphère dans et au-dessus du Pacifique équatorial.
Mesurer le phénomène
Pour déterminer si un épisode El Niño est en train de prendre forme, les spécialistes regardent les conditions à certains endroits bien précis, dont une zone au milieu du Pacifique équatorial nommée Région Niño 3.4. Ils mesurent sur un mois la température moyenne de l’eau de surface et la comparent à la température moyenne sur 30 ans. La différence entre les deux nous donne une phase La Niña (< -0,5 °C), El Niño (> 0,5 °C) ou neutre (de -0,5 °C à 0,5 °C).

Pour l’atmosphère, on compare les différences de pression atmosphérique au niveau de la mer entre deux vastes zones du Pacifique équatorial occidental et oriental, situées de part et d’autre de la région où on mesure la température de l’eau.

Au fil du temps, les météorologues et les océanographes se sont aperçus que pour prédire l’évolution du phénomène ENOA, il fallait avoir des modèles couplés océan-atmosphère. Des modèles séparés pour l’océan et pour l’atmosphère n’offrent pas de prévisions fiables.
Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) dispose d’un tel modèle, dont les prévisions sont basées sur la modélisation par ordinateur du couplage de l’atmosphère, de l’océan et de la glace de mer. Ces prévisions saisonnières dites déterministes sont établies à la fin de chaque mois, pour les trois mois à venir. Ainsi, ce n’est que le 30 novembre prochain que nous connaîtrons la prévision saisonnière déterministe pour la saison hivernale de décembre 2023 à février 2024.
Les prévisions saisonnières probabilistes sont quant à elles calculées à partir de relations statistiques entre les observations passées de la température de surface de l’ensemble des océans et les valeurs saisonnières de la température de l’air et des précipitations au Canada. Ces prévisions probabilistes, connues jusqu’à 12 mois à l’avance, nous laissent entrevoir un hiver plus chaud que la normale dans l’ensemble du Canada. Cela est peu étonnant, puisque pendant tout l’été 2023, les températures de surface de la mer ont été plus chaudes que la moyenne, non seulement dans l’océan Pacifique équatorial, mais sur la presque totalité des océans Pacifique Nord et Atlantique Nord.

Les deux types de prévisions saisonnières nous offrent une vue d’ensemble des conditions météorologiques pour toute une saison, mais ne fournissent aucun renseignement sur la trajectoire et l’amplitude des tempêtes individuelles qui frapperont le Canada cet automne et l’hiver prochain. Afin de se préparer adéquatement à de possibles événements météorologiques extrêmes, il faudra consulter régulièrement les prévisions météorologiques locales, qui sont de plus en plus fiables jusqu’à sept jours à l’avance.
El Niño et le réchauffement climatique
L’établissement de nouveaux records de température mondiale moyenne en 2023 est une conséquence du réchauffement planétaire dû aux activités humaines de combustion de carburants fossiles ; mais c’est aussi une conséquence directe du retour d’El Niño. Alors que les épisodes La Niña ralentissent temporairement la hausse de la température moyenne mondiale, les épisodes El Niño l’accélèrent temporairement.
Bien qu’El Niño revienne assez souvent (tous les deux à sept ans), les épisodes forts comportant une hausse de la température de l’océan d’au moins 1,5 degré sont beaucoup moins fréquents. En 40 ans, il y en a eu trois, en 1982-1983, 1997-1998 et 2015-2016. Nous assisterons probablement au quatrième cet hiver.
Après les nouveaux records de température moyenne mondiale établis en juin, juillet et août 2023, il ne faudra donc pas s’étonner de voir de nouveaux records de température mensuelle moyenne mondiale battus d’ici la fin de l’hiver 2024. Nous observerons sans doute aussi un nouveau record de température moyenne mondiale pour l’ensemble de l’année 2023.
Note 1: Texte initialement publié dans l’Actualité du 26 septembre 2023, mais sans les trois graphiques ici-haut.
Note 2: Texte complémentaire sur le phénomène El Niño-Oscillation Australe (en espagnol).
